L’expatriation humanitaire est singulière, enrichissante mais potentiellement risquée sur le plan psychologique. Les raisons qui poussent un expatrié humanitaire à partir à l’étranger sont plus personnelles que matérielles. Il part moins pour acquérir et construire, que pour se sentir utile et donner un autre sens à sa vie. Les prises de conscience actuelles sur l’écologie et la responsabilité collective popularisent ce type d’expatriation. Est-elle pour autant sans danger pour l’individu ? Non, et avant de briguer un emploi dans l’humanitaire, une prise de conscience des risques encourus est indispensable.
Sommaire
LES PARTICULARITÉS DE L’EXPATRIATION HUMANITAIRE
Les candidats à l’expatriation humanitaire n’idéalisent pas tant le pays d’accueil que le mode de vie qu’ils élisent. La motivation pour un travail humanitaire est souvent très forte. On le constate notamment chez ceux qui partent sur la base du volontariat ou du bénévolat. Elle est sous-tendue par le désir de secourir, partager, transmettre…
Pour autant, les conditions de travail au sein d’une association humanitaire, mettront à rude épreuve leurs capacités d’adaptation.
L’expatriation humanitaire se caractérise par les changements de repères qu’elle impose, certainement plus radicaux que ceux de l’expatriation économique. Dans des zones secouées par les conflits armés ou les catastrophes naturelles, les conditions de sécurité vont exposer un expatrié à un stress souvent constant. Le danger et l’insécurité deviennent des réalités palpables, qu’il apprend à maîtriser au jour le jour. La vision de destructions massives, de victimes de famine ou d’exactions peut avoir un effet traumatique.
L’INVESTISSEMENT PERSONNEL EN QUESTION
On le sait, l’expatriation éloigne des siens et oblige à se construire d’autres attaches affectives au travers de nouvelles rencontres. Ce qui pousse vers la solidarité internationale est justement un besoin de contacts humains différents. Il s’agit d’une quête plus authentique, qui laisse une place au don et à la gratuité des échanges.
En psychologie, certains auteurs, dont Anna Freud, ont conclu que l’altruisme était un leurre de la nature humaine. D’autres leaders d’opinion aujourd’hui, comme le moine Mathieu Ricard, le défendent au contraire. Elle serait un besoin humain de coopération qui doit conduire à un mieux-être général. Les anthropologues, eux, parlent de réciprocité du don, car, comme le dit un vieil adage populaire : « reçoit celui qui donne, et donne celui qui reçoit ».
Si l’on ne peut nier qu’un projet humanitaire soit motivé par un élan altruiste, mieux vaut peut-être s’interroger sur ses ressorts, avant de partir en mission. Une expatriation humanitaire plonge les individus dans une autre réalité d’existence. Un manque de conscience de ses limites personnelles sur le plan psychologique peut leur être préjudiciable. Toute personnalité en apparence solide, peut cacher secrètement des failles. Or, elles seront mises à nu par la confrontation avec une détresse et une souffrance ignorées dans nos sociétés modernes. Les digues personnelles d’une identité trop fragile peuvent alors céder, sous la pression des émotions collectives.
Les responsables de toute ONG connaissent ce risque inhérent à l’expatriation humanitaire. Mais les raisons profondes pour lesquelles les volontaires internationaux s’engagent à travailler dans l’humanitaire peuvent leur échapper.
LES RISQUES PSYCHOLOGIQUES COURUS PAR L’EXPATRIÉ
Les nécessités de l’action humanitaire ajoutent aux difficultés de l’expatriation classique d’autres facteurs de stress. La nécessité d’une adaptation culturelle rapide existe, conjuguée à l’usage d’une autre langue, l’éloignement des proches, la pression au travail… À cela, l’expatriation humanitaire rajoute des conditions d’hébergement précaires, des maladies comme le paludisme, la promiscuité avec la misère, la corruption… Partir en mission humanitaire n’a rien d’un voyage touristique !
Pourtant, les discours préventifs n’empêchent pas, notamment chez le sujet qui désire devenir volontaire, l’idéalisation de la mission humanitaire. Le complexe de ceux qui veulent « sauver le monde » existe bel et bien, même s’il suscite la méfiance des responsables des missions internationales. Comme nous l’avons vu, l’altruisme au cœur de la relation d’aide peut s’avérer dangereux. Un bénévole peu soutenu, mal préparé ou trop « poreux » à la souffrance, peut accuser de véritables troubles. L’accumulation de sentiments intenses, sans prise de recul nécessaire, mène alors à ce que l’on nomme le stress vicariant. Ses conséquences sont particulièrement douloureuses pour le sujet : rejet de soi, identification à la victime, découragement, détresse, cynisme, irritabilité, perte du lien à l’autre… Quand l’expatriation humanitaire prend ce visage tragique, elle affecte durablement l’individu et suscitera des transformations profondes au retour. Car le rapatriement va s’avérer, malheureusement, inévitable.
Le brun-out ou l’épuisement professionnel est également un risque des personnels en mission à l’étranger. Il se différencie du stress vicariant par le fait qu’il semble provoqué par d’autres causes. La poursuite d’objectifs difficiles ou des responsabilités humaines trop lourdes sont souvent en cause.
LA PRISE EN CHARGE PERSONNELLE
De nombreux expatriés humanitaires, qui ne trouvent pas sur place les conditions d’un soutien approprié, ont découvert le secours de la visioconsultation. Internet les aide à trouver le recul qui leur est nécessaire, grâce à une aide distante. Le soutien d’un psychothérapeute pour expatriés permet d’aller au fond de sa réelle motivation. Un recours précieux pour arriver à économiser ses forces et ne pas franchir la ligne rouge…
Plus que les autres, les expatriés de l’aide humanitaire sont exposés aux effets du stress. Les formes ultimes du stress vicariant, nommées « souffrance de compassion », ont des effets particulièrement dévastateurs. La détresse de l’humanitaire plongé dans un bain de souffrances, le consume et le détruit. Il se retrouve seul, face à son impuissance, artisan d’une impossible mission.