Vivre le deuil en expatriation ravive l’attachement de l’expatrié au noyau familial originel, qu’il a quitté en partant. La façon dont il aura négocié la rupture de cet attachement au départ, va grandement influer sur le bon déroulement de son travail de deuil. Entre recul, chagrin et poursuite de son itinéraire personnel, voyons comment il affronte les choses.
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PARTIR, C’EST MOURIR UN PEU…
Le deuil en expatriation n’est pas vraiment une expérience nouvelle pour l’expatrié, qui est déjà passé par ce processus en quittant son pays, ses parents, sa fratrie et la culture qui l’a vu naître. En psychologie, le deuil ne correspond pas seulement à la perte d’un être cher, mais aussi à tout processus de séparation vécu dans la douleur. Dans ce sens, l’expatrié a donc fait une première fois le deuil de ses proches, car le départ lui a fait renoncer pour partie à la relation avec eux. Il vit, au moment de la séparation, des sentiments complexes, car s’il sait que l’attachement perdurera, il sait aussi que la relation elle, est vouée à évoluer et à se raréfier. Les moments d’intimité qu’il vivra avec les siens, limités souvent aux retrouvailles familiales des vacances, seront très différents de ceux qu’il aurait vécus en restant auprès d’eux. Cela, chacun va le comprend au moment du départ.
Un deuil en expatriation va donc raviver cette perte et les tensions qui ont été présentes à ce moment-là. Car il y a, en quittant son noyau familial pour un horizon nouveau, une peur inconsciente que l’au revoir se transforme en adieu, comme une partie de soi qui s’échappe déjà.
De la façon dont ces moments auront été vécus et intégrés, va dépendre la capacité d’un expatrié à surmonter un deuil. Mieux ses choix auront été acceptés et assumés au départ, moins sûrement les sentiments de regret et de culpabilité trouveront de place pour s’exprimer en cas de deuil.
LES SENTIMENTS SUSCITÉS PAR UN DEUIL EN EXPATRIATION
L’annonce d’un deuil provoque chez un expatrié, comme chez tout sujet, le début de ce que Freud a qualifié de « travail de deuil ». La personne endeuillée passe successivement par plusieurs phases qui font alterner des états passant par le déni et la souffrance, pour aboutir à l’acceptation de la mort et à la continuité de la vie. Cependant, l’éloignement complexifie le travail de deuil en expatriation, en exacerbant les regrets et la culpabilité, qui s’alimentent à toutes sortes de scénarios causés par l’éloignement.
LA PHASE DE CONFRONTATION AVEC LA RÉALITÉ
C’est la phase qui suit l’annonce du deuil. Elle se caractérise par le choc qui mène à la prise de conscience de la perte de l’être cher. Conscience qui se traduit par des sentiments d’impuissance qui s’expriment au travers d’une sorte d’incrédulité : « Ce n’est pas possible… ». La culpabilité et la colère sont une autre façon d’exprimer ce déni.
Le deuil en expatriation amplifie tout ce qui est ressenti lors de cette phase. Le fait de ne pas avoir assisté aux événements amplifie les fantasmes autour du décès, notamment lorsqu’il s’agit du décès d’un parent suite à une maladie. La culpabilité de ne pas avoir été là va peser, s’exprimant dans le regret de choses que l’on aurait pu et peut-être dû faire… Pure illusion bien sûr, qui relève plus d’une forme de toute-puissance pour faire, dans un premier temps, écran à la douleur.
Pour certains expatriés, le fait d’être loin rend la confrontation au réel difficile, car concrètement, ils ne constateront pas la perte dans leur vie. Ce facteur peut accentuer le déni et être source d’un refoulement de la douleur qui ressurgira tôt ou tard.
LA PHASE DE LA PERTE
Cette seconde phase annonce les comportements consécutifs au choc : c’est le moment où l’on pleure, où l’on se rebelle, où l’on refuse concrètement la perte de celui qui part. Freud a qualifié cette étape de « rébellion compréhensible ». Parfois, on en veut aussi au défunt qui nous « lâche », autre façon d’exorciser sa peine. Chez l’expatrié, cela est encore amplifié par le fait qu’il doit faire son deuil non seulement de celui qui part, mais aussi de tout ce qui n’a pas été vécu avec lui, de tout ce qui s’interrompt avec la mort, comme des espoirs de retrouvailles ou des dialogues que l’on n’attendait encore et qui n’auront jamais lieu.
Tous les sentiments de culpabilité ou de rébellion éprouvés lors d’un deuil en expatriation, sont donc amplifiés par la distance, et peuvent conduire à une perte d’estime de soi et de la dévalorisation.
LA PHASE D’ACCEPTATION
Petit à petit, la vie reprend ses droits et la personne endeuillée assimile la perte de l’être cher. Elle réapprend à vive sans sa présence, et parfois, selon ses croyances, elle donnera un sens à cette mort. Quand cela concerne un expatrié, il peut être amené à revoir ses valeurs et à se questionner sur le sens de son existence. Des envies de retour peuvent surgir, mais il doit veiller à ce qu’elles ne soient pas motivées par une profonde culpabilité et une forme d’abattement.
PARTIR OU RESTER
Chaque deuil vécu par un expatrié loin des siens sonne comme un rappel à ses racines, qu’il peut vivre selon son intensité, comme un rappel à la source.
Néanmoins, pour continuer à faire face à la différence culturelle de son pays d’adoption, il ne doit pas se lester trop longtemps de regrets et de culpabilité. Une distinction s’impose, entre le chagrin d’un deuil majoré par l’éloignement, et le découragement causée par une perte qui s’ajoute à d’autres manques… Un deuil peut donc représenter un danger pour tous ceux qui, ayant fui certains déterminismes familiaux, peuvent être tentés d’y glisser à nouveau en cédant à une forme de chantage émotionnel de ceux restés au pays.
Plus que pour toute autre personne, un expatrié a vraiment besoin d’exprimer la douleur et les sentiments qui le traversent à l’occasion de la perte d’un proche. Trop d’affects, de la colère ou de la culpabilité refoulée peuvent bloquer le travail de deuil en expatriation. Or, il est important que celui-ci se fasse bien, pour continuer de poursuivre la vie que l’on s’est construite, sans trop de perturbations. La tristesse et les divers sentiments générés par le deuil doivent donc être évacués, afin de ne pas réapparaître sous forme de dépression. Si l’expatrié ne peut s’appuyer sur des présences bienveillantes et empathiques autour de lui, il ne doit pas hésiter à rechercher l’aide d’un professionnel de l’écoute, comme celle d’un psychologue pour expatrié.
Pascal Couderc, psychologue clinicien et psychanalyste, met sa longue expérience de l’écoute au service des expatriés du monde entier sur Skype ou par visioconsultation.